I. LES MENTORS SONT-ILS DE GRANDS LEADERS ?

Quel est le point commun entre Alexandre le Grand, la Reine Elizabeth II et Mark Zuckerberg ?

Ils ont tous, à un moment de leur carrière, été accompagnés par un mentor (respectivement Aristote, Winston Churchill et Steve Jobs) qui a su les guider avec bienveillance et sagesse pour développer leurs savoirs et relever de nouveaux défis (respectivement projet professionnel, prise de responsabilité, et création d’activité).

À l’heure où le développement des compétences en continu est devenu un enjeu stratégique pour maintenir son employabilité en tant qu’individu, sa performance en tant qu’équipe et plus largement ses capacités d’innovation en tant qu’organisation, il existe un levier millénaire peu investi et structuré en entreprise : le mentoring.

D’ailleurs, connaissez-vous les origines de Mentor ?

Elles remontent au VIIIème av. JC dans la grande épopée de l’Iliade et l’Odyssée écrite par Homère. Ulysse avant de partir pour la guerre de Troie demande à son ami Mentor – reconnu pour sa sagesse, son expérience et son intégrité – d’aider son fils Télémaque à devenir un leader capable d’affronter les défis qui se dresseront sur son chemin. Mais derrière le personnage de Mentor se cache en réalité Athéna – Déesse Grec de la sagesse – qui incarne ici le rôle de guide et de conseillère des héros. C’est ainsi que le mentoring est né : une déesse accompagnant un jeune héros dans ses aventures.

Si le rôle du Mentor est celui de guider une personne (un “Talent”) dans son aventure professionnelle, quel est le lien avec le rôle du Leader ?

La signification connue de tous d’un leader c’est celle d’un.e “meneur.se”. “Leadership”, c’est la synthèse du “meneur” (leader) d’un bateau, d’un équipage (ship). Mais les origines étymologiques du leader dans la langue anglaise du XIIIème siècle c’est “Laeden” qui signifie “guider”.

Ainsi, un mentor, c’est celui qui guide une personne dans son aventure professionnelle, tandis qu’un leader a une responsabilité plus large de guider chaque membre de l’équipage à réaliser ses objectifs individuels au sein d’une aventure commune – un projet collectif.

« Nous apprenons toujours seul, mais jamais sans les autres1». Philippe Carré

Philippe Carré, Professeur émérite en sciences de l’éducation insiste sur cette dimension fondamentale de l’apprentissage avec et par les autres. Dimension qui rend possible le triptyque de la biochimie de la formation : encoder une information, l’activer puis la consolider. Car oui, apprendre est un processus biologique et nous avons le pouvoir par nos pratiques – conscientes ou inconscientes – d’apprendre efficacement. Et la Rencontre avec un Mentor et ou un Mentoré est une des plus belles expériences apprenantes que nous pouvons vivre en entreprise.

À travers ce détour historique, on comprend dans quelle mesure le rôle de mentor est un moyen de progresser concrètement comme leader. Le Mentor, en développant une posture de guide pour une personne, développe ses compétences pour mener, inspirer et motiver un ensemble d’individus.

II. QUELLES COMPÉTENCES DÉVELOPPÉES ?

Le mentoring est une relation interpersonnelle au sein de laquelle une personne expérimentée écoute, conseille et guide une autre personne (appelée Mentoré) en recherche d’accompagnement et qui se met en posture d’apprenant pour progresser vers le but qu’il s’est défini. Tel Socrate avec sa maïeutique qui, par son questionnement, encourage la réflexion, stimule le développement et aide l’autre à trouver ses solutions, son chemin et le courage d’oser.

Ce qui est intéressant dans cette relation, ce sont les bénéfices2 qui se présentent à différents niveaux (mentor, mentoré, organisation) et surtout

1 L’apprenance : vers un nouveau rapport au savoir, Philippe Carré, Dunod – 2005
2 Une étude réalisée par des chercheurs de la prestigieuse business school américaine Wharton sur une entreprise technologique a comparé l’évolution professionnelle de 1 000 employés sur une période de cinq ans, et a découvert que les mentors à la différence de collaborateurs aux caractéristiques semblables non engagés comme mentor avaient 6x plus de chances d’être promus (Versus 5x pour les mentorés) et 28% d’augmentation salariale sur cette période (Versus 25% pour les mentorés). Source: Article “Workplace loyalties change but the value of mentoring doesn’t” Wharton, 2007

l’apprentissage contre-intuitif que le principal bénéficiaire de cette relation est en réalité le mentor !

De fait, le Mentor va être amené à pratiquer plusieurs qualités de leadership essentielles aujourd’hui, qui résonnent d’ailleurs avec les “Compétences du XXIème siècle” suggérées par l’OCDE, ainsi que plusieurs professeurs, chercheurs et experts RH3 : Communication – Collaboration – Créativité – Esprit Critique… auxquelles nous pourrions rajouter la Curiosité !

  • La première de ces qualités est la capacité de connexion et d’empathie – qui renvoie à la “Communication” : c’est à dire entrer en relation avec l’autre, et faire preuve d’intelligence émotionnelle ;
  • L’entrée en relation est une première source de confiance – qualité qui résonne avec la “Collaboration” : l’on sait combien il est difficile de créer la confiance dans une équipe, et combien il est facile de la fissurer : explorer et partager les attentes et objectifs, travailler sur l’émergence et aider à cheminer, tels sont des voies (voix) que le Mentor va emprunter ;
  • La troisième – et non des moindres – est la capacité de questionnement, qui renvoie notamment à la Curiosité : qualité mentionnée comme clé pour les leaders par Linda Hill, dans un article HBR de janvier 2024. (“skills for successful leaders”), afin de rechercher différentes perspectives dans un monde en évolution permanente que nous ne pouvons plus contrôler. Selon Linda Hill, la curiosité, c’est “regarder ailleurs, explorer des nouveaux territoires, tenter de comprendre l’art des possibles” : c’est notamment ce que le Mentor aide son Mentoré à faire ;
  • Ce dernier point renvoie aussi à la “Créativité”, notamment pour bâtir une “vision” ambitieuse et inspirante pour le Mentoré : sortir des sentiers battus, envisager de nouveaux scénarios, définir des plans qui aident le mentoré à révéler ses talents, et – comme l’on dit parfois – 3 J.Lamri, M.Barabel, T.Lubart, O.Meier, le défi des soft skills. Éditions Dunod, 2022.Chercher à activer “ la meilleure version de soi-même” : le Mentor ne guide-t-il pas ainsi le mentoré dans la construction de sa vision ?
  • Enfin, le Mentor doit exercer son “Esprit Critique”, dans une intention d’aide : observer les faits, partager son feedback, challenger le statu quo, faire preuve d’assertivité pour défendre ses observations, questionner les croyances et modèles mentaux et adopter une approche pragmatique pour itérer.

“Une des plus grandes qualités des mentors est leur capacité à voir plus loin que ce que les autres peuvent voir et à aider à tracer une route vers leur destination. » John C. Maxwell

(Fresque du peintre italien Raphaël ‘L’École d’Athènes” avec au centre Platon et Aristote. Vatican)

En parallèle du développement de ses compétences, le mentor tout au long de son accompagnement exerce plusieurs fonctions4 clefs :

  • Conseiller : partager des idées, donner du feedback et suggérer des stratégies pour atteindre les objectifs fixés par le Mentoré ;
  • Protecteur : minimiser la probabilité d’être impliqué dans des situations controversées et réduire les risques professionnels inutiles ;
  • Sponsor : créer des opportunités vis-à-vis de parties prenantes du mentoré de voir et apprécier ses compétences et capacités ;
  • Rôle-model : inspirer et donner envie au Mentoré de se dépasser au travers de ses comportements et valeurs ;
  • Challenger : concevoir et/ou assigner des tâches challengeantes, formatrices pour stimuler le développement du Mentoré ;
  • Soutien : écouter et discuter des préoccupations que le mentoré peut avoir et offrir son support et son empathie. Exercer la posture de mentor est en soi un puissant exercice de formation par l’action qui permet de développer des compétences et comportements essentiels à la posture de leader. III. TÉMOIGNAGE & FACTEURS CLEFS DE SUCCÈS CHEZ ENGIE ? Virginie Fléchet, Responsable des Projets RH, Département Stratégie Talents au sein du siège d’ENGIE, acteur mondial de l’énergie bas carbone et des services comptant 97 000 salariés dans 31 pays. Le mentoring existe dans le Groupe depuis 2010. C’est un outil puissant pour répondre à la demande des cadres d’être accompagnés dans leur posture, dans leur rôle, dans leur progression au sein de l’entreprise. Au fil des années, plus de 1700 binômes ont été constitués. D’après les enquêtes internes, 97 % des participants recommandent cette expérience, et 60 % des mentorés veulent devenir mentor à leur tour. Le programme est ouvert aux 30.000 cadres du Groupe, quelle que soit leur fonction ou niveau hiérarchique, avec ou sans encadrement d’équipe et ce, dans tous les pays. Cette année, plus de 400 binômes ont été constitués. Un maillage local de 60 référents mentoring promeut le programme et accompagne les participants. 4 Les fonctions de mentoring (Kram, 1985) reprises par 0’Neil (d’après Ivanaj et Persson, 2012) 6/9

Une plateforme digitale facilite le matching des binômes et le suivi de la relation créée. Les candidats au programme ont la possibilité de se créer un profil et de partager leurs envies et leurs besoins. Des suggestions de mise en relation sont faites de façon automatique et affinitaire, grâce à un algorithme. La suite ? Les binômes l’écrivent ensemble.

Soft-skills, carrière, confidences : de quoi parle-t-on entre mentor et mentoré(e) ?

Les binômes sont invités à se rencontrer une à deux heures par mois, pendant 6 à 12 mois. L’occasion, pour le mentoré, d’aborder les thèmes qu’il souhaite en fonction de ses besoins du moment : le rôle de manager, le leadership, la gestion des conflits, l’harmonie entre vie personnelle et professionnelle, la culture One ENGIE ou tout simplement une situation ou un projet professionnel très spécifique.

Le mentoring est avant tout une relation à double sens, moins formelle et mutuellement bénéfique : il aide les collaborateurs à s’intégrer dans le Groupe, à transmettre la posture ENGIE et la culture d’entreprise, il accélère le développement personnel et permet de partager son réseau.

Pour le mentor, c’est une manière d’apprendre à donner du feedback, d’incarner les ENGIE Ways of Leading (modèle de leadership du Groupe), mais aussi de faire profiter et challenger son expérience, et de grandir dans un nouveau rôle.

Pour le mentoré, c’est une excellente manière d’être conseillé dans ses choix de carrière, une occasion de sortir de son quotidien professionnel. Chacun grandit à travers cette expérience. Cela permet de se connecter et créer du lien, ce qui est précieux dans notre environnement mouvant.

Le mentoring est donc l’occasion d’ancrer la culture du feedback et d’apprentissage en continu. Il offre un regard externe et bienveillant sur des situations, sur des choix professionnels, sur un parcours. Les échanges s’articulent principalement autour des soft skills. Car à la différence du parrainage, les mentors et mentorés ne font pas le même métier et n’ont pas, non plus, de lien hiérarchique.

Devenir mentor ou mentoré, une démarche personnelle et accompagnée

Les mentors et les mentorés sont systématiquement formés. Il est critique que les rôles et attentes de chacun soient clairs et partagés par tous. La participation au programme de mentoring est une démarche personnelle, non obligatoire. Elle s’adresse autant aux nouveaux managers lors de leur prise de poste, qu’aux managers expérimentés qui cherchent une nouvelle opportunité pour grandir.

(Visuel créé par l’IA de Midjourney décrivant des mentorés confiants dans leur trajectoire professionnelle)

« J’ai eu la chance d’avoir (…) des échanges riches, avec une vraie valeur ajoutée opérationnelle : des conseils, des stratégies à tester, un partage d’expérience, un autre regard. » Sébastien, Mentoré

« Le mentoring est une sorte de voyage spirituel dans la vie professionnelle. Cette expérience me fait me sentir utile au travail. » Fatma, Mentor

« Aucun risque, que des opportunités. Alors foncez ! » Sabine, Mentor

Le mentoring : un outil parmi d’autres, au service du manager

Le mentoring est l’un des nombreux outils de la politique de développement des employés. Si la formation est centrée sur le développement d’une compétence spécifique, et le coaching sur l’atteinte d’un résultat donné, le mentoring est une démarche plus personnelle. Tous ces dispositifs visent à encourager la collaboration, l’entraide, la bienveillance… autant de valeurs qui font partie intégrante de la culture et de l’ADN d’ENGIE.

Le Groupe a pu identifier les clés du succès d’un programme de mentoring : volontariat, implication, confidentialité et accompagnement. Il est important de créer une relation de confiance dans la durée. Bien sûr, le programme définit des objectifs, une intention, des règles… mais ensuite, c’est l’humain qui s’exprime et transforme l’initiative en réussite.

CONCLUSION

Les avancées technologiques transforment notre accès aux savoirs, mais elles ne modifient pas notre façon d’apprendre. L’Homme reste comme l’indiquait Aristote « un animal social ». Nous grandissons à travers nos interactions et relations interpersonnelles. Et c’est la qualité de celles-ci qui déterminent notre capacité à nous créer de nouvelles opportunités d’apprentissages. Opportunités de développer nos talents, de développer notre impact.

Et le mentoring est un puissant levier pour atteindre ces objectifs. Il permet aussi de développer la culture du leadership – et c‘est d’autant plus fort quand il est connecté comme avec ENGIE au modèle de leadership de l’organisation ou encore aux valeurs affichées pour permettre de les incarner – et d’autre part de renforcer la culture learning – une culture où chacun a la possibilité d’être apprenant et formateur – plus spécifiquement ici Mentor et Mentoré. Activer le levier du mentoring c’est enfin une opportunité concrète de favoriser la circulation des savoirs et de progresser comme Organisation Apprenante.

Et vous, comment comptez-vous (continuer à) progresser comme Organisation Apprenante ?

Thierry Bonetto

Ex Directeur Learning Groupe @DANONE
Expérience Corporate, Conseil & Académique

thierry@learningfutures.fr

Morgan Baivier de Fortis

Ex Recruteur & Entrepreneur RH @MONMENTOR
Expérience Startups, ESN & Académique

morgan@learningfutures.fr

Conseil en Learning & Development, Pionnier en Organisation Apprenante

Diagnostic, Accompagnement, Formation & Conférence Inspirante.