Article Publié sur Harvard Business review France
Dans un monde où le rythme des changements et l’obsolescence des compétences s’accélèrent, où la révolution technologique fait émerger des enjeux inédits de « upskilling / reskilling », où l’évolution des marchés – et des évènements comme la crise sanitaire – imposent une adaptation permanente, progresser en tant qu’organisation apprenante est plus que jamais un avantage distinctif. À partir de pratiques recueillies auprès de plus de 50 grands groupes et start-ups à forte croissance, ainsi que de travaux de recherche et publications 1 , voici un cadre de réflexion et d’action pour ancrer des dynamiques apprenantes dans sept moments clés de l’expérience collaborateur.
1. INTÉGRATION
C’est une étape décisive pour accroître la rétention des salariés en impulsant un rythme
d’apprentissage sur plusieurs mois (débutant même avant le premier jour) :
- Faciliter une appropriation de la vision et du métier : « Welcome Pack » apprenant (ex : livres ou objets suscitant une réflexion en lien avec les valeurs de l’entreprise), ou atelier pour s’entraîner à présenter en quelques mots son entreprise : c’est le cas dans la startup ContentSquare où chaque salarié reçoit une certification liée à l’utilisation de leur solution à l’issue de ses deux jours d’onboarding;
- Susciter dès le début une culture de partage et de mentoring, grâce à un accompagnement par un ou plusieurs parrains/marraines, comme dans l’entreprise Buffer – spécialisée dans la publication et l’analyse des campagnes sur les réseaux sociaux – qui interviennent auprès des nouveaux venus sur les sujets de culture d’entreprise, d’expertise métier et de
management ;
- Inciter à réfléchir sur soi et son développement professionnel, en intégrant un test de personnalité, un « livret de développement », ou encore des questions réflexives sur sa capacité à apprendre, à partager et à grandir dans l’organisation, comme le fait dès l’entretien de recrutement l’organisme de formation Numa.
2. FORMATIONS INTERNES
Au-delà des programmes formels et des ressources digitales mises à disposition, il est important de créer les conditions pour autoriser, voire sanctuariser des « espaces-temps » d’apprentissage :
- Rituels courts et périodiques, comme les fameux « breakfast/lunch & learn » – y compris virtuels : moments d’inspiration avec des intervenants internes ou externes qui partagent leurs « bonnes » pratiques, ou encore des « ateliers philosophiques » sur des thèmes comme l’intelligence collective, chez L’Oréal, à destination de la communauté RH ;
- « Learning days », organisés dans différents pays et ouverts à tous, combinant des moments d’inspiration en lien avec la stratégie business ou RH, des formations souvent animées en interne, des échanges entre les participants, le tout autour d’une thématique spécifique – comme « we love learning » chez Natixis ;
- Événements combinant apprentissage et intelligence collective, comme un hackathon biannuel où les collaborateurs sont invités à imaginer en équipes pluridisciplinaires et internationales, des réponses à des problématiques business ou sociétales, comme le fait la licorne Irlandaise Stripe, la nouvelle plateforme de paiements en ligne.
3. AUTO-APPRENTISSAGE
L’enjeu est aussi de créer les conditions de responsabilisation des collaborateurs dans leur développement, en écho avec la notion de « maîtrise personnelle », proposée par Peter Senge, pour engager les salariés dans une dynamique permanente d’auto-apprentissage :
- Favoriser la connaissance de soi par des outils et des exercices d’introspection, et proposer des formations pour « apprendre à apprendre » ;
- Diffuser régulièrement des ressources de formation en les personnalisant en fonction du profil et des intérêts de chacun, en utilisant comme le fait Google des « people analytics » ;
- Proposer des « journées de développement », sous forme de « menu » : participation à des conférences ou salons, mécénat de compétences ; ou encore des « cool days » comme le propose une fois par mois à ses collaborateurs la startup Comet ;
- Multiplier les approches d’accompagnement individuel : « coaching bar » le vendredi matin, « speed-coaching » avec des coachs externes disponibles par visioconférence, ou encore mise à disposition de coachs internes, comme chez le nouvel assureur santé Alan.
4. APPRENTISSAGE SOCIAL
L’apprentissage est social par nature : chacun peut être apprenant et formateur auprès de pairs, et cette forme d’apprentissage contribue, deux fois plus que la formation traditionnelle en salle, à l’acquisition de nouvelles compétences et expertises. Comment l’encourager encore davantage ?
- Déployer des dispositifs de formation de « Peer to Peer » et de mentoring à grande échelle pour accélérer le partage de compétences métiers et/ou comportementales entre pairs, comme le fait Air France sur sa communauté de managers ; ou mettre en place des réseaux d’échanges métiers permettant de trouver rapidement la solution à un problème rencontré comme chez Generali ;
- Mettre en place des groupes de co-développement, en présentiel ou à distance, internalisés mais aussi inter-entreprises sur des thématiques ou populations ciblées du type business developers ou responsables marketing, comme le fait la startup iAdvize ;
- Susciter le partage post formation, comme le propose le « Gandalf Scholarship » de DBSBank, grâce auquel tout collaborateur peut recevoir 1000 dollars pour une formation professionnelle de son choix, à condition de partager ses enseignements à minimum 10 personnes.
5. MODES DE TRAVAIL
Selon une étude récente de France Stratégie 3 , les organisations du travail qui sont réellement apprenantes, notamment en milieu industriel, se caractérisent par trois critères : l’autonomie des collaborateurs, la polyvalence et la résolution de problème en équipes. Les départements formation peuvent équiper les managers et leurs équipes pour favoriser de telles pratiques :
- Des rituels d’apprentissages en équipe : temps d’inclusion au démarrage des réunions (comme la « météo personnelle », particulièrement utile en situation de crise), valorisation des efforts (« qu’est-ce qui vous a rendu fiers ce mois-ci ? »), points réguliers sur le fonctionnement d’équipe (présence, place aux questions et émotions,…). Sans oublier les «retours d’experience» pour apprendre des succès et échecs, comme le rituel « Fail, Learn, Succeed » de Blablacar ;
- Des modes de travail propices à l’intelligence collective et à l’innovation, outils de collaboration, environnements comme les « creativity rooms » dédiées à l’innovation, ou les murs en « velleda », pour les brainstormings et le management visuel, comme chez Qonto, la néobanque des entreprises et des indépendants.
6. RÔLE DU MANAGEMENT
Le rôle du manager d’équipe est une pierre angulaire de l’apprentissage individuel et collectif ; à condition que ce rôle soit clair, et soutenu par des formations et outils pour :
- Accompagner le développement des collaborateurs : posture de « manager coach » développé notamment chez Criteo et intégration de « boucles d’apprentissage » dans des points réguliers avec ses équipes avec, par exemple, la règle « 5/0/5 » 4 : prendre cinq minutes avant une formation de son collaborateur pour échanger sur son besoin, zéro minute pendant sa formation, et à nouveau cinq minutes après pour décider de la mise en œuvre des apprentissages ;
- Aider à se projeter sur le moyen terme : « conversations de développement », comme chez Danone, pour amener chaque collaborateur à révéler ses talents – avec un guide introspectif –, réfléchir à son projet professionnel et bâtir un plan de développement ;
- Instaurer des « moments d’apprentissage » réguliers : au sein d’une équipe (tous les trimestres par exemple chez Leroy Merlin), afin d’apprendre ensemble sur une nouvelle thématique, ou d’effectuer un partage d’expérience ; ou plus largement, rituels d’entreprise, comme « DEAL – Drop Everything And Learn » chez le spécialiste de la formation en ligne Udemy.
7. MOBILITÉ INTERNE & EXTERNE
L’évolution de carrière et l’expérience opérationnelle sont parmi les plus importantes sources d’apprentissage. Comment multiplier les occasions ?
- Programmes d’immersion en externe (startups, associations…) ou en interne, comme « l’Open Talent Market » mis en place par Schneider Electric, qui vise à connecter les souhaits de développement des collaborateurs avec des opportunités de vivre une nouvelle expérience : par exemple mission à temps partiel ou complet, contribution sur un projet, rôle de formateur ;
- Entretiens approfondis lors des départs, afin de clôturer positivement la collaboration, et améliorer par les feedbacks l’expérience collaborateur – et ainsi la marque employeur – comme chez ManoMano, leader du bricolage en ligne, où tous les départs sont célébrés ;
- Animation d’un réseau d’anciens : permettant aux alumni de continuer à se développer en s’appuyant sur la communauté, et à l’entreprise de bénéficier d’un réseau d’ambassadeurs, voire de formateurs expérimentés, à l’image de McKinsey qui fédère un réseau de 34 000 alumni à travers le monde.
Si le « Pourquoi devenir une organisation apprenante » appartient à chaque entreprise, le « comment » active plusieurs dimensions : la vision (source de motivation intrinsèque pour les individus et les équipes), la culture (pour instaurer un « growth mindset »), les politiques de formation bien sûr, enfin l’organisation et le management, une dimension trop peu exploitée et pourtant clé dans les dynamiques d’apprentissage.
Si vous rencontriez le génie de l’organisation apprenante, quel vœu feriez-vous pour vous ? pour votre équipe ? et pour votre organisation ?
Auteur :
Thierry Bonetto
Ex Directeur Learning Groupe @DANONE
Expérience Corporate, Conseil & Académique
Morgan Baivier de Fortis
Ex Recruteur & Entrepreneur RH @MONMENTOR
Expérience Startups, ESN & Académique
Conseil en Learning & Development, Pionnier en Organisation Apprenante
Diagnostic, Accompagnement, Formation & Conférence Inspirante.